Haïm et Rina Omer, mars 2020
(Traduction : Pierre Motyl.)
Au temps de la première guerre du Golfe, pendant tout le mois de janvier 1991, l’Irak de Saddam Hussein tira plusieurs dizaines de missiles ‘Scud’ sur les villes israéliennes, dont il était possible qu’ils soient munis de charges bactériologiques ou chimiques.
Toute la population reçut des masques à gaz et s’exerça à se réfugier dans des abris sécurisés ; tout le réseau médical dut se préparer à affronter une situation sanitaire sans précédent dans l’histoire du pays.
C’est en préparation de cette crise que fut formulé un principe de continuité[i], concept intégratif quant à la manière de faire face à des situations de catastrophe où toute la société paraît traumatisée.
L’énoncé du principe est : « En temps de crise ou de catastrophe, il faut viser à préserver et à restaurer les continuités fonctionnelles, interpersonnelles et personnelles aux niveaux de l’individu, de la famille, de l’organisation et de la communauté. »
La continuité fonctionnelle est la capacité à continuer à fonctionner malgré les perturbations ; la continuité interpersonnelle décrit la capacité à garder le contact avec la famille, les amis, les collègues et avec tous les autres cercles auxquels la personne appartient. La continuité personnelle est la manière de garder son identité, de rester cohérent dans l’image que nous avons de nous-même.
En prenant l’exemple d’un enfant de 10 ans, la continuité fonctionnelle ce sont les routines telles que se réveiller à l’heure habituelle, s’habiller, manger un petit déjeuner avant de prendre le chemin de l’école, être présent en classe, faire ses devoirs ainsi que se livrer à ses autres routines (sports ou autre hobbies), faire sa toilette et se coucher à l’heure. La continuité interpersonnelle est faite de tous les gestes et actes qui maintiennent le contact avec les parents, la fratrie, les grands-parents, les amis, les condisciples, les enseignants, etc. La continuité personnelle (ou encore identitaire) est construite par les dires et les messages qui maintiennent le sens de l’identité ; ‘je suis élève en quatrième’, ‘j’aime le foot’, ‘j’ai plein d’amis’ le rendent explicite.
Dans les situations de crise, ces continuités seront perturbées, voire brisées. Le principe de continuité nous enseigne que la meilleure manière de prendre soin des personnes, des familles et des communautés dans ces circonstances consiste à maintenir les continuités qui tiennent le coup et à restaurer celles qui seraient rompues. Les fractures ouvertes dans les routines quotidiennes, les relations interpersonnelles et le sens de l’identité aggravent les conséquences de la crise. Ce qui est vrai en temps de guerre, de désastre ou d’événement traumatique l’est aussi pour tout incident qui touche un enfant, comme une crise d’agoraphobie ou de refus soudain de l’école. Tout ceci vaut également au temps du Corona. Nous devons donc agir d’une manière telle que les continuités qui sont menacées soient maintenues ou réparées.
Concernant notre enfant de 10 ans, il faudra donc veiller à ce qu’il se réveille à l’heure habituelle et qu’il consacre sa matinée à des tâches scolaires. L’après-midi, le temps consacré à ses hobbies, à l’ordinateur et à parler à ses amis devra être structuré. Ensuite, il prendra part aux routines domestiques telles que le dîner pris en famille. Nous devons l’encourager à rester en contact avec ses amis, ses condisciples, ses professeurs, ses grands-parents et cousins. Nous devons l’aider à rester un élève et à s’adonner aux activités, à pratiquer les talents qui lui sont propres.
Le principe de continuité nous aide à trouver ce qu’il faut faire et aussi ce qu’il ne faut surtout pas faire. L’abandon des routines quotidiennes, du lever à heure fixe et du travail scolaire, entraîne une démoralisation progressive de l’enfant et ouvre la porte à des comportements problématiques. Le maintien de ces routines a donc une importance qui va au-delà de sa valeur strictement scolaire : un enfant qui perd cette continuité fonctionnelle devient vulnérable sur les plans comportementaux et émotionnels. Il peut devenir exagérément paresseux, dépendant des écrans et son état physique et mental peut s’en ressentir… S’il perd le contact avec ses condisciples et ses profs, cette rupture de la continuité interpersonnelle crée un vide qui affecte sa résilience psychique, voire physique. La perte de la routine scolaire quotidienne lui fait oublier son identité d’élève : c’est alors sa continuité personnelle qui est affectée avec des conséquences qui peuvent être lourdes. Nous le constatons fréquemment lorsque, en temps normal, un élève fait de l’absentéisme : il cesse progressivement de se penser en tant qu’élève et se dit « je suis bizarre » ou « différent » ou « incapable », voire « malade ». Plus ces images d’une identité « autre » s’imposent à sa conscience, plus il lui sera difficile de revenir en arrière.
Le principe de continuité peut donc guider les parents en temps de confinement Corona :
· Imposer un déroulement de la journée clair et non négociable : l’horaire sera communiqué à l’avance, le soir pour le lendemain ; l’imprimer et l’afficher bien en évidence le rendra concret et visible. Il est utile de le lire aux enfants avant leur coucher.
· La matinée doit être consacrée à une routine scolaire ; elle sera détaillée en une série de ‘classes’ ou d’activités scolaires successives. Ne vous contentez pas de ce que l’école propose sur le web : vous pouvez assigner des tâches supplémentaires aux enfants, vous faire aider par des proches ou organiser des groupes d’étude sur Zoom, Skype, WhatsApp ou autre.
· Le repas pris en famille est particulièrement important au temps du Corona. Faites participer les enfants à sa préparation : cuisiner ensemble et partager le repas renforce le sentiment que la famille vit et se porte bien.
· Les grands-parents peuvent jouer un rôle important : vous pouvez leur demander de raconter une histoire aux enfants à l’heure du coucher ou de prendre en charge une partie des tâches scolaires. L’implication des grands-parents par Skype, Zoom etc. sera significative et gratifiante, tant pour les enfants que pour vous et pour les grands-parents eux-mêmes.
· Prenez soin d’informer les personnes qui comptent dans votre entourage, enseignants, camarades de classe, membres de la famille étendue, amis, de ce que font vos enfants. Demandez à ces personnes de donner un feedback à vos enfants car cela renforcera leur estime de soi : « Grand-père pense à moi ! », « Ma tante sait que je suis fort en calcul ! », « Mon prof a apprécié mon dessin ! ».
· Le temps du Corona crée des opportunités de prendre contact ou de renforcer les liens avec les enseignants, d’autres parents d’enfants, des moniteurs de sport (pour, par exemple, leur demander des conseils d’entraînement à domicile) etc. En temps de crise de telles prises de contact directes afin d’informer et de s’informer sont entièrement légitimes et acceptées. La crise aura peut-être le mérite de permettre aux parents d’en sortir avec un réseau efficace de contacts avec les enseignants, les parents d’amis des enfants, voire de ces amis eux-mêmes. La crise passée, ce réseau permettra aux parents d’accentuer leur présence dans la vie de leurs enfants, si le besoin d’un tel renforcement de leur vigilance bienveillante[ii] devient nécessaire.
· Tentez d’organiser régulièrement, par exemple une fois par semaine, une vidéoconférence Zoom avec les grands-parents et d’autres personnes qui comptent pour vous. Ce sera une manière efficace de renforcer le sentiment d’appartenance de l’enfant à la famille et sa cohésion. Cette rencontre sera d’autant plus efficace que les parents prépareront à l’avance ce qu’ils veulent raconter ou montrer : la rencontre sera un miroir qui renverra une image renforcée de continuité personnelle et interpersonnelle tant pour l’enfant que pour la famille élargie.
· Ne permettez pas à l’enfant de rester enfermé de trop longues heures dans sa chambre. S’il (ou elle) refuse d’en sortir, entrez dans sa chambre et asseyez-vous pour montrer que vous y resterez un moment. Intéressez-vous au jeu auquel il joue sur son ordinateur : si vous le faites d’une manière positive, il y des chances que l’enfant vous traite en invité et non en envahisseur. Soyez convaincus que, pour l’enfant, s’enfermer dans sa chambre et en refuser l’accès est un abus du droit au respect de son intimité : il s’agit d’un droit parmi d’autres ; il n’est pas sacro-saint ! Si l’enfant en abuse sans que les parents s’y opposent, cette sanctification peut détruire d’un seul coup les continuités fonctionnelles, interpersonnelles et personnelles qu’il est crucial de maintenir.
· Demandez à vos amis quelles activités ludiques ils ont inventées ou auxquelles ils se sont joints. Partagez-les avec d’autres et, si possible, essayez d’organiser des compétitions entre équipes. Si les équipes sont familiales, la cohésion de la famille en sera renforcée, réalisant ainsi concrètement tous les niveaux du principe de continuité.
Nous savons que c’est beaucoup demander aux parents : le principe de continuité fournit néanmoins une ligne directrice que chacun pourra utiliser à sa manière. Les difficultés sont inévitables, vous ne pouvez que les accepter. Pensez alors à vous détendre et à prendre soin de vous.
Vous etes invites a visiter le site www.haimomer-nvr.com
[i] Omer, H. (1991). Tasks of a psychological emergency team in disaster (in Hebrew). Sihot, 5: 1-23 Omer, H. & Alon, N. (1994). The continuity principle: A unified approach to disaster and trauma. American Journal of Community Psychology, 22:277-287 [ii] ‘La nouvelle autorité’, Haïm Omer, Fabert 2018.
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